lundi 31 mai 2010

Euro 2016 : Quand Sarko vole au secours de la victoire


Vendredi dernier, Michel Platini, président de l'UEFA (Union des Fédérations Européennes de Football) annonçait le résultat du vote attribuant l'organisation du championnat d'Europe de Football 2016 (Euro 2016) à la France. La veille au soir, on nous avait annoncé dans les médias que Nicolas Sarkozy se rendrait en personne à Genève le lendemain pour défendre la candidature française face à ses concurrentes turques et italiennes. Une annonce surprenante, d'autant que le président français s'était jusque la fort peu, voire pas du tout impliqué dans ce dossier. On pouvait aussi se demander pourquoi cette décision subite survenait la veille du vote fatidique, alors qu'il n'en avait jamais été question jusque là.

Vendredi, donc, aux alentours de 13h05, les trompettes pouvaient retentir et les tambours rouler car, grâce à la providentielle intervention de notre monarque, nous avions gagné le droit d'organiser la prestigieuse compétition de balle aux pieds.

Malheureusement, quelques heures plus tard, toute la belle histoire s'effondrait au cours d'une interview du joueur/gaffeur de l'équipe de France Marc Planus qui nous révélait malencontreusement le pot-aux-roses : le vote n'était qu'un simulacre et la décision de l'UEFA connue depuis la veille dans les milieux autorisés.

La vidéo de la boulette du joueur est savoureuse et à déguster sans modération, notamment quand il essaye maladroitement de rattraper le coup : "En fait, c'était ce matin, je me suis trompé." Mais comme l'horaire semble encore coller moyennement, une petite voix derrière le joueur rectifie une nouvelle fois : "À 13 h 05 !", soit effectivement quelques minutes après l'annonce officielle.

Ouarf!

vendredi 28 mai 2010

Todd : « La question des retraites n'a aucun sens »


Comme anthropologue et démographe, comment voyez-vous le débat des retraites ?

Ce n'est pas la priorité. Il est légitime de se poser la question de savoir s'il faut travailler plus longtemps en relation avec l'espérance de vie, et je suis évidemment pour défendre les retraites. Mais c'est un problème de long terme, alors que nous vivons une crise majeure de court terme. Un économiste venu de Mars ne comprendrait pas que la planète France débatte de la manière d'augmenter la durée du travail dans l'avenir pour des personnes ayant déjà un certain âge, alors qu'on ne parvient pas à donner aujourd'hui du travail aux jeunes. En termes d'économie immédiate, la question des retraites n'a aucun sens. Le gouvernement veut donner l'impression qu'il affronte la réalité, la vérité est qu'il fuit la réalité.

Comment l'expliquez-vous ?

Nos sociétés développées sont globalement très riches, très éduquées et âgées. L'âge médian (qui partage la population en deux moitiés) est d'environ 40 ans en France, de 44 ans en Allemagne et au Japon. Si vous enlevez tous les enfants et adolescents qui n'ont pas le droit de vote, vous obtenez un âge médian pour l'électorat qui est encore beaucoup plus élevé… Je précise aussitôt qu'avec mes 59 ans, je fais partie de la masse centrale de ces « croulants ». Nos sociétés ont donc des préoccupations de gens âgés, qui approchent de la retraite.

Et pourquoi serait-ce grave ?

Le vrai problème de la France, c'est la disparition de notre industrie, les délocalisations d'entreprises, la stagnation du niveau de vie. A terme, si nous ne faisons rien, notre société est menacée d'appauvrissement, ce qui remettrait complètement en question toutes les décisions qu'on prépare sur les retraites. Dans ce décalage temporel, ce qui me choque le plus, c'est la place épouvantable qui est faite aux jeunes : ils ont en général un niveau d'études beaucoup plus élevé que les générations précédentes, et ils sont maltraités en termes d'emploi et de salaire. Or je suis désolé d'être obligé de le rappeler : l'avenir d'une société, ce sont ses jeunes, pas ses vieux !

Vous cultivez le jeunisme ?

Je n'ai pas de passion particulière pour les jeunes, je trouve les enfants extraordinaires, mais les adolescents sont fatigants - et je sais de quoi je parle. Non, je parle en historien. J'aime bien mon pays, j'ai envie que son histoire continue, et cette histoire sera faite demain par les jeunes d'aujourd'hui. Quant à moi, j'ai reçu ma première évaluation de retraite et ça fait très plaisir. Mais revenons à la métaphysique des retraites. La crise économique crée une tension très dure sur le marché du travail, et la vie professionnelle est vécue comme une jungle dont on n'a qu'une envie, c'est de sortir le plus vite possible. Le débat sur les retraites traduit cela : les gens s'intéressent plus à l'après-vie professionnelle, comme un refuge à atteindre, qu'à leur travail, qui leur est devenu insupportable.

Les premières victimes de la crise sont les ouvriers, qui sont en train de disparaître avec notre industrie, et l'on va d'ailleurs se rendre compte que ce sont les ouvriers qui étaient les véritables créateurs de la richesse du pays. Jusqu'à il y a quelques années, ces ouvriers faisaient grève pour protéger leur outil de travail. Maintenant, ils se battent pour négocier leurs conditions de départ. Leur attitude est très analogue à celle des dirigeants d'entreprise qui essaient de s'en mettre plein les poches, à coups de stock-options ou autres, avant de se faire éjecter… C'est une ambiance d'Apocalypse Now, d'après moi le déluge.

La crise actuelle n'est-elle qu'une crise de plus ?

Je vois deux phénomènes nouveaux. En Europe, un effet de dislocation selon le degré de résistance des pays et de leur économie.

Et une sorte d'amnésie chez nos gouvernants qui, après avoir bien réagi dans une première phase en comprenant que la crise était un problème de demande, sont en train de changer de pied et d'imposer l'austérité. Tout cela sous la houlette de l'Allemagne, dont la société est la plus âgée d'Europe, alors que la France conserve une bonne démographie.

L'euro est mort ?

Oui, si l'Europe n'est pas capable de sortir de la crise par le haut, par la mise en place d'un protectionnisme au niveau du continent. Mais comme c'est très difficile, le plus probable est la disparition de l'euro, de manière ordonnée ou dans la pagaille.

La première victime en serait l'Allemagne, mais on voit se reproduire l'attitude habituelle des dirigeants français : on se rebelle, car on voit bien que nos intérêts ne sont pas les mêmes, et puis on finit par se coucher. Ce qu'ils ne voient pas, c'est que nous sommes dans une crise sans fin, dont on ne sortira qu'en changeant de logiciel, en prenant la voie du protectionnisme européen.

Actuellement, vous travaillez sur quoi ?

Je suis en train d'achever le Tome I de mon ouvrage sur les systèmes familiaux, consacré à l'Eurasie. Je propose une hypothèse expliquant pourquoi certains systèmes familiaux portent en eux certains systèmes politiques, comment ils se transmettent…

Cela rend optimiste ?

Ce qui me rend optimiste, c'est le bon côté de la mondialisation : un monde qui s'alphabétise, sur fond de baisse générale de la fécondité… Les crises actuelles sont très dures, je ne minimise pas les souffrances qu'elles provoquent, mais ce sont des crises de transition. La tendance de fond est aux grandes retrouvailles de l'humanité.

Recueilli par Francis Brochet (Le Progrès)

mercredi 26 mai 2010

A vos agendas!


Ce soir, mercredi 26 mai, Frédéric Taddéi recevra, entre autres, Emmanuel Todd et Marcel Gauchet dans son excellente émission "ce soir ou jamais".

Pour une fois que votre redevance sert à quelque chose, ne ratez pas ça!

MàJ : Émission reportée à demain, jeudi, pour cause de tennis... L'émission a-t-elle été enregistrée ? Est-ce que les invités prévus seront là demain ? Mystère. France 3 ne le précise pas. Je vais me coucher avec l'étrange sensation d'être pris pour un con.
Bonne nuit quand même!

vendredi 14 mai 2010

L’instinct de survie des peuples


Paul Jorion - Le temps qu'il fait le 14 mai 2010
envoyé par PaulJorion. - Regardez les dernières vidéos d'actu.

Un système sain présente en général une très grande capacité à supporter la présence de parasites. Mais si ceux-ci pullulent alors, passé un certain seuil dans l’affaiblissement, leur présence peut tuer l’animal. La mort de l’hôte n’est pas dans l’intérêt du parasite mais comme il ne sait rien faire d’autre que d’être ce qu’il est selon sa nature, il n’interrompt pas son effort, provoquant la perte de son hôte ainsi que la sienne propre.

On en a eu l’illustration en 2009 : alors que l’économie était toujours dans les derniers dessous, le secteur bancaire, sauvé par les aides étatiques, retrouvait la santé et dispensait à nouveau ses largesses à ses dirigeants et à ses employés les plus talentueux dans l’accumulation du profit. Largesses qui ne trahissaient pas la folie, mais ne faisaient que refléter la proportion colossale dans laquelle ce secteur parvenait à nouveau à détourner vers lui la richesse. Quand les politiques proposèrent de plafonner les bonus, ils choisirent d’ignorer que ces primes indécentes n’étaient que des commissions relativement modestes sur des sommes elles à proprement parler pharamineuses. Quand des velléités apparurent de taxer ces profits monstrueux, les financiers firent immédiatement savoir que toute charge ponctionnée sur leurs opérations serait automatiquement répercutée par eux sur leurs clients. Vu l’impunité de principe dont ils bénéficient, cela aurait sûrement été le cas.

Au cours des semaines récentes, le travail d’investigation des régulateurs et les bureaux des procureurs d’États américains a mis toujours davantage en lumière le rôle joué par la simple cupidité dans le déclenchement de la crise. L’économie étant devenue au fil des années l’otage du secteur financier – et ceci, d’intention délibérée, par choix idéologique – s’effondra dans son sillage. Les États se précipitèrent alors au secours de ce secteur financier, en raison du risque systémique que son écroulement faisait courir. Mais en se refusant à opérer dans les activités financières un tri entre celles utiles à l’économie (ce que Lord Adair Turner, président de la FSA, le régulateur des marchés britanniques appelle les transactions « socialement utiles ») et celles dont la seule fonction est de siphonner une partie de la richesse vers les plus grosses fortunes. Les États ayant épuisé leurs ressources, imposent ce qu’ils appellent l’« austérité » ou (pourquoi se gêneraient-ils ?) la « rigueur », c’est-à-dire se tournent vers les classes populaires et les classes moyennes en exigeant d’elles par un impôt non-progressif et en opérant des coupes sombres dans les mesures de protection sociale en place, de rembourser les sommes manquantes.

La logique en marche est implacable : une évolution a eu lieu, d’une situation où le parasitisme de la finance était relativement tolérable à une autre où il a cessé de l’être. Les États, et les organismes supranationaux peut-être encore davantage, au lieu de tenter d’exterminer le parasite, se tournent au contraire vers l’animal et exigent de lui un effort supplémentaire. Comme c’est de sa propre survie qu’il s’agit désormais, la réaction de celui-ci est prévisible.

Imbécillité profonde des États, encouragée par les « vérités » charlatanesques de la « science » économique, ou complicité caractérisée avec les ennemis de leurs peuples ? Au point où l’on en est arrivé, la distinction a cessé d’être pertinente. Facteur aggravant : ces mêmes États ne manqueront pas de considérer que les sursauts des peuples, réaction saine de leur instinct de survie, sont excessifs et les condamneront, sans penser à leurs erreurs et à leur propre responsabilité dans l’aggravation de la crise.

Un retour à la progressivité de l’impôt est souhaitable. Pourrait-elle seulement être réinstaurée – ce qui paraît peu probable vu le pouvoir historique de l’argent à prévenir un tel rééquilibrage – qu’elle ne parviendrait encore qu’à figer la concentration de la richesse dans son état présent. Or cette concentration est telle aujourd’hui qu’aucune économie ne peut plus fonctionner dans son cadre : les ressources font à ce point défaut là où elles sont requises comme avances dans la production des marchandises ou comme soutien à la consommation des ménages, que le montant des intérêts versés compris dans le prix de tout produit ou service rend celui-ci excessif. Il faudra donc remédier à la concentration des richesses telle qu’elle existe dans son état présent. C’est seulement après qu’une certaine redistribution aura été opérée qu’une imposition progressive pourra s’assurer que le processus de concentration ne reprenne une nouvelle fois son cours mortifère. Bien sûr, ceux qui ont accumulé des fortunes colossales s’affirmeront spoliés (le mot « liberté » sera sans aucun doute galvaudé par eux une fois encore) et prétendront que la possession de ces sommes leur est indispensable pour être ceux qu’ils sont à leurs propres yeux. La réponse qu’il faudra leur opposer est que l’image qu’ils se font d’eux-mêmes importe peu puisque leur fonction est claire désormais : ils se contentent de pomper le sang de leur hôte. Quant à celui-ci, la dégradation généralisée du capitalisme l’a acculé à faire un choix entre sa propre survie et celle des parasites qui l’infestent. Et ce choix, il l’a fait.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

jeudi 13 mai 2010

Honduras : l’ONU s’émeut des assassinats de journalistes, pas RSF


L’association française Reporters sans frontières n’a pas placé le Honduras dans sa liste des Etats prédateurs de la liberté d’expression, publiée le 3 mai, à l’occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse. L’ONG pro-US estime qu’il n’est pas établi que ces meurtres soient liés au contexte politique et que l’actuel gouvernement est démocratique.
Le 28 juin 2009, un coup d’Etat militaire, orchestré par les Etats-Unis, a renversé le président élu Manuel Zelaya et placé au pouvoir Roberto Micheletti. Le 29 novembre, la junte a convoqué des élections et déclaré vainqueur Porfirio Lobo Sosa. Le nouveau régime a fait appel à des experts israéliens du maintien de l’ordre. La répression s’est concentrée sur des assassinats ciblés, dont ceux de journalistes.
Le 10 mai 2010, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits à la liberté d’expression et d’opinion, Frank La Rue, le Rapporteur spécial sur les exécutions sommaires, extrajudiciaires ou arbitraires, Philip Alston, et la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, Margaret Sekaggya, ont appelé les autorités honduriennes à faire toute la lumière sur les sept assassinats de journalistes survenus en six semaines dans le pays.
Voltaire

mercredi 12 mai 2010

L'Europe, la burqa et la crise


L'Europe doute et cherche des boucs émissaires. Le vrai problème, c'est la crise économique et l'Europe n'a pas de modèle de sortie de crise. Ce qui nous attend, c'est une récession sans fin. Il est temps de nous attaquer à l'atonie de notre demande intérieure et de promouvoir une régulation continentale des échanges commerciaux par un protectionnisme européen raisonnable.

Une nouvelle forme de xénophobie politique - diverse mais constante dans son orientation Nord-Sud - ravage l'Europe. Les politiciens flamands ne veulent plus des Wallons, ces pauvres du Sud. Le gouvernement français se passionne tout d'un coup pour la burqa et la polygamie, problèmes statistiquement marginaux, et tente d'activer le ressentiment contre des Français venus du Sud. Les hommes politiques de l'Europe du Nord, conservateurs allemands en tête, nous proposent de rejeter hors de la zone euro, ou de mettre en tutelle financière, des Européens du Sud - Grecs, Portugais, ou Espagnols ou Italiens - s'ils ne se tiennent pas bien : "pourquoi soutenir des "Pigs" en qui on ne peut avoir confiance, ces pays du "Club Med" qui n'auraient peut-être jamais dû rentrer dans l'euro ?" C'est la question posée à Londres, c'est la question posée à Francfort.



Pour le moment, les peuples ne suivent pas. La France a déjà montré, lors des élections régionales, qu'elle n'était guère sensible à la question de l'identité nationale. Mais l'obstination de son gouvernement à activer les thématiques ethniques, le passage instantané de l'identité nationale à la burqa et à la polygamie conduit à une nouvelle inquiétude. Nos gouvernants sont-ils à ce point égarés qu'ils cherchent à se rassurer eux-mêmes en traquant une inexistante menace religieuse ? Que de temps perdu ! La division, la recherche du bouc émissaire, la xénophobie disent l'incertitude française, l'incertitude européenne. Déchirons-nous, trouvons des responsables, identifions-les ethniquement, persuadons-nous qu'ils sont fondamentalement différents de nous, et surtout, surtout, évitons de parler du vrai problème.

Le vrai problème, c'est la crise économique qui n'est pas qu'une crise financière ou une crise des finances publiques. Le vrai problème, les marchés l'ont bien vu, est simple : l'Europe n'a pas de modèle de sortie de crise ; l'Europe n'a pas de perspective de reprise de croissance forte. Suprême paradoxe, les marchés, ce marché, qui a conquis les élites françaises depuis trente ans, se retourne contre l'autre totem national, l'Europe. Les marchés contre l'Europe : ce n'était pas prévu. Et ça fait mal.

Revenons en arrière, à la panique financière de septembre 2008. La crise ne résulte pas de la seule folie des banquiers comme veulent nous le faire croire ceux qui ne veulent rien changer à l'organisation économique ; l'origine immédiate de la crise, c'est l'accumulation d'une montagne de dettes, publiques ou privées suivant les pays. Cette dette était destinée à compenser la stagnation des salaires des classes moyennes et des milieux populaires dans les pays développés, stagnation qui était et reste la conséquence de l'ouverture brutale des échanges commerciaux avec les pays émergents.



L'ouverture totale des échanges avec des pays bénéficiant de salaires faibles et d'une productivité moyenne qui augmente beaucoup plus vite qu'en Europe tire inlassablement vers le bas les salaires européens. Comme la recherche de rentabilité du capital est toujours forte, cette situation encourage les entreprises à aller là où se trouve la croissance, à compresser les salaires pour augmenter leurs marges et à déprimer durablement l'économie du continent. Là est la cause profonde de la crise, son non-dit, qui apparaît aujourd'hui brutalement dans son expression financière, véritable retour du refoulé.

La crise de la demande est aggravée par une gestion égoïste, nationale, ou devrait-on dire ethnique plutôt qu'européenne, de l'économie allemande. L'Allemagne a fait le choix d'un modèle économique entièrement tourné vers l'exportation - avec une consommation intérieure faible, des gains de productivité et de compétitivité et, depuis dix ans, une réforme drastique de son modèle social - pour accroître ses chances dans la mondialisation. Cette réforme s'est faite dans un esprit non européen, peut-être post-européen : l'aire d'influence de l'Allemagne, dans l'esprit de ses dirigeants, ce n'est plus l'Europe, c'est le monde.

Alors tant pis si les réformes structurelles font chuter la demande allemande pour les produits européens. Et tant pis, ou plutôt tant mieux, si les entreprises allemandes gagnent des parts de marché hors d'Europe sur d'autres entreprises européennes. Cela n'améliore pas la balance des paiements européenne mais cela améliore la situation allemande. Chacun pour soi. Nous retrouvons dans la gestion même des économies européennes ce problème latent de l'identité nationale, mais sous une forme non fantasmatique cette fois, avec des conséquences réelles pour le niveau de vie des peuples.



Ce qui nous attend est assez facilement prévisible et les marchés l'ont bien vu : le coup d'arrêt programmé à l'endettement met en lumière la faible capacité de croissance de la plupart des économies européennes dont le moteur interne est grippé. Celles-ci subissent de plein fouet la désindustrialisation (France), un effort d'innovation insuffisant (Espagne, Portugal, Grèce), des gains de productivité faibles (France et tous les pays du Sud), les conséquences d'une bulle immobilière (Espagne, Irlande), une dette publique déjà immense (Italie), le sous-investissement (tous), la Grèce cumulant tous ces problèmes. Qui dit croissance faible dit hausse des déficits publics. Mais si au nom de la lutte contre les déficits publics, on coupe dans les dépenses de l'Etat, on arrête l'un des principaux moteurs de la croissance et on ramène la stagnation. Ce qui attend l'Europe aujourd'hui, c'est une récession non pas longue, mais sans fin.

La discipline budgétaire publique n'est donc pas la réponse parce que nous ne sommes pas sortis de la crise. La possibilité de s'endetter à un niveau européen ou la création d'un fonds de garantie ne sont pas non plus une solution : une dette continentale plutôt que nationale ne serait qu'un subterfuge de plus pour fuir la réalité. Nous devons nous attaquer à la vraie cause : l'atonie de la demande intérieure européenne, un temps masquée par l'endettement public et privé. La maîtrise budgétaire ne sera pas la réponse à la crise. Elle l'aggravera.

Tant que les gouvernements européens n'auront pas trouvé le moyen de relancer les salaires, ils seront contraints de trouver dans des thématiques ethniques, dans la xénophobie, la justification de leur existence. Chacune des aggravations de la situation économique nous promet donc une accentuation de la politique du ressentiment.

Il est en vérité une solution fort simple et simultanée à nos maux économiques et à la xénophobie, qui ne demanderait qu'un peu de lucidité politique et beaucoup de travail gouvernemental. Une régulation continentale des échanges commerciaux par un protectionnisme européen raisonnable (il ne s'agit pas d'autarcie !) permettrait la hausse des salaires et de la demande, et la résorption des dettes. Elle serait fondée sur des critères économiques, sociaux, environnementaux et ne serait d'ailleurs qu'une réponse normale à des pays comme la Chine qui pratique, quant à elle, un protectionnisme agressif, que nous tolérons bêtement et lâchement pour ne pas nous fermer les portes de son marché, volontairement comprimé par le contrôle des salaires et la sous-évaluation de la monnaie.



L'Allemagne a encore trop besoin de nous pour prendre à la légère une telle proposition. Ses échanges avec l'Europe représentent encore en effet plus de 63% de son commerce extérieur (dont 43% vers la zone euro et 7% vers le Royaume-Uni). Ses dirigeants politiques et économiques ne peuvent pas croire qu'elle continuera de prospérer si les autres pays du continent se mettent à l'imiter dans sa politique de compression des salaires, de réduction des déficits publics ou de faillite programmée. Quand elle se présente en victime de la folie dépensière des économies faibles, l'Allemagne est soit aveugle aux avantages qu'elle en tire en termes de demande, soit hypocrite. L'Allemagne a, comme les autres, besoin de la demande intérieure européenne. Un tel projet ne peut mener dans un premier temps qu'à un dialogue ferme avec les dirigeants chinois. Mais, il ne serait en rien tourné contre le peuple chinois qui bénéficierait rapidement et inévitablement d'une réorientation de la croissance de son pays vers le marché intérieur.



Nous devons comprendre que la lutte pour l'équilibre économique et la lutte contre la xénophobie sont désormais étroitement liées. Seule la définition d'un horizon économique décent nous permettra d'échapper à la généralisation d'une politique du ressentiment tournée contre les plus faibles de nos pays, enfants et petits-enfants d'immigrés. Seule une conception égalitaire des rapports entre les peuples européens permettra de trouver une solution à la crise économique. Seul un monde économique réorganisé selon le principe d'un protectionnisme coopératif, assurant une croissance par les demandes intérieures plutôt que par la recherche de débouchés extérieurs et par le désir d'écraser la concurrence, permettra une bonne entente entre les peuples.

Hakim El Karoui, banquier d'affaires et essayiste, et Emmanuel Todd, historien et démographe

La Tribune

lundi 10 mai 2010

Les Etats-Unis à la veille de la faillite


«Les finances des Etats-Unis augmentent à la puissance deux», nous fait savoir, à titre strictement officieux, un collaborateur du Fonds monétaire international et ami. «Le système financier des Etats-Unis est quasiment en faillite, de quelle valeur sont en­core les garanties?» Telle est sa question provocante. Certes, la Société d’assurance des dépôts (FDIC) répète constamment que les avoirs en banque sont en sécurité, tout au moins jusqu’à concurrence du montant assuré. Mais les observateurs savent pertinemment que cette institution ne dispose pas du capital prouvant la validité de cette affirmation. La moitié des dépôts n’est, en effet, pas assurée du tout. Le reste est couvert à raison d’un cent (!) par dollar. Tant que la FDIC ne ferme que de petites banques – durant les trois premiers mois de l’année en cours, elle y a déjà procédé dans 40 cas –, elle peut satisfaire à ses engagements financiers. Lors de la plus grande banqueroute bancaire survenue jusqu’à maintenant, à savoir l’effondrement de la «Washington Mutual», les limites ont déjà été dépassées. Durant les jours précédant la faillite, les clients de la «Washington Mutual» ont vite retiré 16,7 milliards de dollars en raison de la situation incertaine. Ainsi s’est effondrée rapidement la plus grande caisse d’épargne des Etats-Unis, qui disposait de 43 000 collaborateurs et de plus de 2000 comptoirs. Le groupe financier J.P. Morgan a acquis la banque au prix dérisoire de USD 1,9 milliard. L’année précédente, elle s’était déjà procuré la banque d’investissements insolvable Bear Stearns à un prix de liquidation et l’avait absorbée.
Après la nationalisation des deux géants hypothécaires Freddie Mac et Fannie Mae, le gouvernement des Etats-Unis s’était déjà engagé à répondre des engagements de ces établissements pour un montant quasiment illimité. Sur quoi le monde financier avait fait des deux groupes son dépotoir de papiers toxiques. Les établissements de crédit continuent de déverser leurs reconnaissances de dettes ayant perdu toute valeur sur les deux entreprises soutenues par l’Etat, procédé par lequel les billions de pertes essuyées par les banques sont transmis à l’Etat et, pratiquement, au contribuable. Or les banques enregistrent de nouveau des bénéfices appréciables.
«Ni la crise financière ni la récession ne sont complètement surmontées», et, malgré certains signes de rétablissement, il ne saurait être déjà question d’un rétablissement général. Même les Américains optimistes – au premier chef Ben Bernanke, le président de la Fed – soulignent davantage, dans leurs déclarations, que «le pire n’a pas encore eu lieu.» Les Etats-Unis souhaiteraient que de nouvelles attributions de milliards de dollars aux circuits financiers continuent d’être les stimulants de l’économie mondi­ale. Cependant, bien des choses sont encore en marche, dont les Américains n’ont pas encore pris connaissance.
Le taux de chômage continue de varier entre 9 et 10%. De plus, les experts considèrent la baisse de mars comme un attrape-nigaud. Le gouvernement a «engagé» à court terme 132 000 personnes, dont la plupart étaient des chômeurs, pour procéder au recensement et au relevé de la population qui a lieu tous les dix ans. Cet embellissement de la statistique du chômage a été immédiatement interprété comme signe de renforcement. Les prochaines données montreront s’il s’agissait d’un feu de baille allumé par le gouvernement. •

Source: Vertraulicher Schweizer Brief n° 1247 du 13/4/10

Horizons et débats

vendredi 7 mai 2010

Brazil 2010



Une patrouille de robocops défonce votre porte en pleine nuit, abat vos deux petits chiens et, après avoir découvert quelques grammes de beuh, vous embarque sous les yeux de vos enfants terrifiés.
Non, vous n'êtes pas en 1985 dans un film de Terry Gilliam, vous êtes bien en 2010 dans l'Amérique de Barack Obama.