dimanche 30 janvier 2011

Bonnes et mauvaises révolutions ?

Le pouvoir égyptien, aussi autoritaire et corrompu soit-il, a une vertu aux yeux de l'Occident : il vit en paix avec Israël.

La révolution tunisienne sent si bon le jasmin et la liberté, la démocratie et la laïcité, que les opinions occidentales l'ont facilement adoptée : « Oui à une révolution dans un petit pays arabe, si proche de nous, sans islamistes connus, et loin de la bande de Gaza ! » Mais quand la révolte enflamme l'Égypte, l'accueil se refroidit : « Oui, peut-être, à certaines conditions, si vraiment il le faut, à une révolution dans un grand pays arabe, de quatre-vingts millions d'habitants, qui a vu naître et prospérer les Frères musulmans, et où débouchent des souterrains creusés en Palestine. »
Pourtant, l'aspiration à la liberté est aussi légitime sur les rives du Nil qu'en Tunisie. Il sera difficile d'expliquer à la jeunesse du Caire qu'elle doit rester chez elle parce que sa révolution risque de libérer des forces encore plus obscures que celles qui gouvernent, et de porter au pouvoir un régime religieux aussi bête et méchant qu'en Iran.
Les capitales occidentales ont beau s'inquiéter, les spécialistes du monde arabe alerter, les opinions s'alarmer, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le mimétisme est sidérant. Jusqu'aux slogans, parfois lancés en français, qui demandent le départ de Ben Ali d'un côté, de Moubarak de l'autre.
On avait enfermé le monde arabe dans un modèle figé : un pouvoir autoritaire qui contient les assauts islamistes et une « rue » qui défile, de façon spectaculaire et un rien inquiétante, pour conspuer les sionistes et brûler le drapeau américain. On se doutait bien que la réalité était un peu plus complexe, on s'aperçoit à la faveur de ces événements que ce modèle a bien évolué.
Emmanuel Todd (auteur avec Youssef Courbage du Rendez-vous des civilisations, au Seuil), a mis en évidence la modernisation résolue de ces sociétés. Leur niveau d'alphabétisation et leur nombre d'enfants par femme se rapprochent des nôtres, l'exogamie progresse. Or, l'expérience a montré que ces tendances sont porteuses de bouleversements.
Le pouvoir égyptien, aussi autoritaire et corrompu qu'il soit, a une vertu aux yeux de l'Occident : il vit en paix avec Israël. Si les événements actuels devaient faire le lit des islamistes radicaux, l'équilibre au Proche-Orient en serait rompu. L'ennemi déclaré d'Israël, l'Iran, se verrait flanqué d'un allié de taille.
On comprend l'angoisse des dirigeants du monde. Mais quelque chose d'irréversible est en train de se passer dans cette région. Une course de vitesse est engagée entre l'aspiration démocratique et la tentation théocratique. L'Europe n'a pas de leçons à donner - son histoire ayant été suffisamment tragique -, mais elle doit soutenir coûte que coûte ceux qui se battent pour leur liberté, plutôt que de choisir entre les révolutions.

La Voix du Nord

Patrick Roy, le courage d'un homme

Tous nos vœux de prompt rétablissement au député Patrick Roy, un homme remarquable, d'une grande valeur et d'une profonde humanité. C'est une impressionnante leçon de courage  qu'il a donné à tous, hier, en prononçant un discours d'une demi-heure alors qu'il subit une chimiothérapie.
Le député-maire de Denain, qui souffre actuellement d'un cancer du pancréas, a tenu à participer à la traditionnelle cérémonie des voeux qui a eu lieu samedi matin, dans un théâtre archicomble. L'élu a donné des nouvelles de sa santé: après plusieurs échecs, il suit une nouvelle chimio qui donne de bons résultats. Des traitements de 48 heures chacun, qu'il recevait au moment de son discours. Le visage amaigri mais le sourire radieux, il a évoqué les projets de développements en cours. "Denain a eu le cancer", a-t-il expliqué pour résumer les dommages de la fin de la sidérurgie. "Mais le cancer n'est pas une fatalité, on peut en guérir."
la Voix du Nord 

Tenez bon, Patrick!

Extraits du discours de Patrick Roy

samedi 29 janvier 2011

Tunisiens, où est l’islamisme ?

Depuis quelques jours, tous ceux qui n'ont pas lu "Le rendez-vous des civilisations" de Todd et Courbage sont sévèrement déstabilisés par la vague protestataire qui secoue le monde arabe. Mais où sont donc les islamistes ???


Je leur dis donc : Lisez ce livre sorti en 2007, il n'est jamais trop tard pour bien faire.



Tunisiens, où est l’islamisme ?

Par DANIEL SCHNEIDERMANN

On les aime bien, les Tunisiens, on les adore, plus que jamais, on ne les a jamais tant aimés, mais franchement, ils ont exagéré. Imaginez ! D’abord, ils ont osé surprendre dans son confort la classe politique française. La droite (qui la veille encore proposait aimablement ses canons à eau à Ben Ali) aussi bien que la gauche (qui a découvert, quelle surprise, que le parti de Ben Ali était encore membre de l’Internationale socialiste). Et ce n’est pas tout.

Dans la même foulée, ils ont pris à contre-pied les télés, et leurs envoyés spéciaux, qui ont majestueusement attendu une bonne dizaine de jours, avant de s’aviser que peut-être, quelque chose était en train de se passer en Tunisie. Faire ce coup-là pendant les fêtes de fin d’année, pendant que les avions français patinent sur les aéroports enneigés, et que quelques centaines de touristes voient leurs vols retardés, a-t-on idée ?

Le pire, c’est le bon tour joué aux experts en poussées islamistes. Amis Tunisiens, où avez-vous donc rangé l’islamisme ? Tout de même, ils auraient pu aligner, en tête des manifs, quelques barbus photogéniques, pour faire plaisir à Sarkozy et Pujadas qui, d’une seule voix, avaient classé Ben Ali à l’inventaire mondial des «remparts contre l’islamisme». On n’en demandait pas beaucoup, deux ou trois, même avec barbe fine, mais si possible en costume typique, pour la photo.

Elle fait peine à voir, la déception à peine dissimulée des présentateurs, depuis le début des «événements». Il fallait voir Pujadas, en direct de Tunis lundi soir, cherchant ses islamistes à la lanterne, à la sortie d’une mosquée. Mais il n’y trouvait, hélas, que de simples fidèles, expliquant tranquillement que oui, bien sûr, des islamistes aux élections, au gouvernement, pourquoi pas, s’ils n’embêtent personne. Alors, ces islamistes ? Ce n’était donc qu’un fantasme ?

Car voilà : ce que viennent de faire les Tunisiens, c’est ni plus ni moins chambouler d’immémoriales représentations du JT, et donc aussi un peu les nôtres, Français. Au JT, la «rue arabe» est forcément fanatisée, elle s’exprime en hurlements de rage ou de douleur dans des capitales indistinctes, et est incapable d’autre chose que de brûler des drapeaux américains. Et soudain, d’une révolution arabe, émergent des mots d’ordre tout droit surgis des révolutions européennes et des Lumières, avec, croyait-on, copyright occidental exclusif : liberté, dignité, justice, débat pluraliste, et démocratie.

Et que voit-on ? Pendant que les présentateurs français tremblent encore de voir «des islamistes» entrer au gouvernement tunisien, c’est… un blogueur, qui y déboule, un blogueur facétieux et plein d’humour, Slim404 (ainsi baptisé en raison de la phrase «erreur 404» qui s’affichait, sous Ben Ali, à la place des sites censurés par le pouvoir). Slim404, donc, alias Slim Amamou, secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports, twitta, minute par minute, le premier Conseil des ministres.

Ce fut une après-midi sans précédent. On était autour de la table du Conseil avec les ministres du gouvernement provisoire, les nouveaux et les autres. «C’est jouissif d’entendre le ministre de la Justice lire le mandat d’arrêt commençant par le nom de Ben Ali», twittait la petite souris Slim404. Ou encore cet aveu déchirant : «Les fonctionnaires du ministère ne veulent pas du gouvernement, y compris moi.» Ou cette adresse à ses anciens copains de manifs : «Si j’ai bien compris le ministre de l’Economie, jusqu’à maintenant nous avons perdu 3 % du PIB à cause de vos conneries.» Et notre préféré, dans sa sobriété solennelle : «Le ministre de la Défense nous assure que les frontières sont bien gardées.»

En quelques heures et quelques twits, Slim404 avait dédramatisé la révolution, rendu ses droits à la légèreté au cœur d’un moment d’histoire, esquissé ce que pourrait être un contrôle citoyen sur un gouvernement, et tranquillement réinventé la fonction de porte- parole du gouvernement. Excusez du peu ! Sans doute - peut-être - ses collègues ministres vont-ils lui confisquer son jouet lors des prochaines réunions. On souhaite vivement qu’il résiste à la pression. Ce sera un test.

N’empêche. L’espace de quelques heures, c’est non seulement l’ancien régime Ben Ali, mais toute la solennité française, les comptes rendus de Conseil des ministres coincés dans les dorures, la langue de bois des communiqués, le benalisme courtisan qui gangrène les âmes, qui prennent mille ans d’un coup. C’est beaucoup. Ah non, Tunisiens, la France éternelle ne vous dit pas merci.

LIBE

dimanche 23 janvier 2011

Wikileaks et la Guerre Mondiale de l’Information

Un très bon article à propos de Wikileaks d' Andrew Gavin Marshall, qu'il faudrait faire lire aux paranos conspis qui voient la CIA partout, (Assange lui-même en serait un agent selon certains allumés qui hantent les forums un peu partout en ce moment... Ne rigolez pas, ils y croient vraiment!).

Un texte long, mais qui mérite d'être lu pour bien éclaircir les choses.

Introduction
La publication récente des 250.000 documents de Wikileaks a soulevé un intérêt sans précédent, provoquant tout un éventail de réactions - des plus positives au plus négatives. Mais une chose et sûre : Wikileaks est en train de changer la donne.
Il y a ceux qui prennent les contenus des documents publiés par Wikileaks pour argent comptant, principalement à cause de leur présentation erronée donnée par les grands médias commerciaux.
Il y a ceux qui considèrent que ces documents sont authentiques et qu’il suffit de savoir les interpréter et de les analyser.
Puis il y a ceux, dont beaucoup font partie des médias alternatifs, qui émettent des doutes.
Il y a ceux qui considèrent ces fuites tout simplement comme une opération de manipulation qui vise certains pays précis, dans l’intérêt de la politique étrangère des Etats-Unis.
Et enfin, il y a ceux qui déplorent les fuites et les qualifient de « trahison » ou d’atteinte à la « sécurité ». De toutes ces opinions, c’est sans doute cette dernière qui est la plus ridicule.
Cet essai examinera la nature des publications Wikileaks et comment il faut les aborder et les comprendre. Si Wikileaks est en train de changer la donne, il faut espérer que les gens feront en sorte que le changement soit positif.
Propagande médiatique contre l’Iran : prendre les câbles pour argent comptant.
Ce point de vue est probablement le plus répandu puisqu’il est largement diffusé par les grands médias commerciaux qui présentent ces câbles diplomatiques comme une « confirmation » de la validité de leur traitement des enjeux internationaux, plus particulièrement en ce qui concerne le programme nucléaire iranien. Comme d’habitude, c’est le New York Times qui mène l’assaut contre la vérité et se livre sans relâche à une propagande au service de l’impérialisme US, avec des gros titres tels que « L’Iran préoccupe le monde entier » et qui explique qu’Israël et les dirigeants arabes sont d’accord sur la menace nucléaire que représente l’Iran. L’article est accompagné d’un commentaire qui dit « les câbles révèlent en filigrane l’opinion partagée par de nombreux dirigeants qu’à moins d’une chute du régime à Téhéran, l’Iran possédera tôt ou tard l’arme nucléaire. » (1) Fox News a diffusé un article affirmant que « Les documents montrent un consensus au Moyen-orient sur la menace iranienne », avec le commentaire « la fuite explosive de Wikileaks a montré un consensus profond au Moyen-orient que l’Iran est le principal fauteur de troubles dans la région. » (2)
Ceci, bien entendu, n’est que de la propagande. Il faut néanmoins analyser cette propagande pour pouvoir déterminer avec précision quelle est la part de propagande contenue dans ces articles. S’il faut garder un esprit critique envers les sources et les campagnes de désinformation (qui sont monnaie courante comme le savent tous ceux qui suivent les médias de près), il faut aussi prendre en compte le point de vue personnel de la source et réussir à distinguer la part de la vérité de l’opinion exprimée. Je crois vraiment que ces documents sont authentiques. Je ne souscris donc pas à l’idée qu’ils font partie d’une opération de guerre psychologique ou d’une campagne de propagande, du moins pour ce qui concerne leur publication proprement dite. Il ne faut pas perdre de vue que les sources de ces documents sont les circuits diplomatiques US et que les déclarations qu’ils contiennent sont donc le reflet des points de vue et des opinions exprimés par le corps diplomatique US. Les documents sont donc une représentation fidèle de leurs déclarations et opinions mais ne constituent pas pour autant une représentation fidèle de la réalité.
C’est là que les médias entrent en jeu pour organiser la propagande autour de ces fuites. Les deux exemples mentionnés ci-dessus affirment que les fuites montrent qu’il existe un « consensus » sur l’Iran et donc que les craintes exprimées par les Etats-Unis, et par d’Israël bien sûr, ces dernières années se trouvent ainsi « confirmées ». C’est ridicule. Les médias on pris pour argent comptant les dires des diplomates US et des dirigeants du Moyen-orient et que s’ils répètent tous que l’Iran représente une « menace » ou cherche à se doter de « l’arme nucléaire », c’est que ça doit être vrai. Rien n’est moins sûr. Si un général ordonne à des soldats de prendre d’assaut une maison qui est censée abriter un terroriste, cela ne signifie nullement que la maison abrite effectivement un terroriste. De même, ce n’est pas parce que les dirigeants du Moyen-orient présentent l’Iran comme une menace que l’Iran constitue effectivement une menace.
Encore une fois, examinons les sources. Pour quelle raison les dirigeants arabes seraient-ils une source d’information « fiable » ? Par exemple, une « révélation » qui a fait le tour du monde est l’insistance du Roi Abdullah d’Arabie Saoudite auprès des Etats-Unis pour que ces derniers « tranchent la tête du serpent » iranien, et son appel à l’Amérique pour lancer une frappe militaire contre l’Iran. (3) Les médias l’ont présenté comme une « preuve » du « consensus » sur la « menace » que représente l’Iran pour le Moyen-orient et le monde entier. C’est cette ligne de propagande qui a été servie par le New York Times, Fox News et le gouvernement israélien, parmi tant d’autres. Il faut pourtant remettre en contexte cette information, chose que le New York Times a l’habitude de ne pas faire (volontairement, pourrais-je ajouter). Je ne mets pas en doute l’authenticité de ces déclarations ni le fait que les dirigeants arabes affirment que l’Iran représente une « menace ». D’un autre côté, l’Iran a déclaré que ces fuites sont « malveillantes » et qu’elles servent les intérêts des Etats-Unis. L’Iran a aussi déclaré qu’il était « ami » avec ses voisins. (4) Ca aussi, c’est de la propagande. Encore une fois, il faut remette les choses dans leur contexte.
L’Iran est une nation chiite, alors que les pays arabes, l’Arabie Saoudite en tête, sont à majorité Sunnite. Ceci représente une division entre les pays de la région, du moins en surface. Mais la vérité est que l’Arabie Saoudite et l’Iran sont loin d’être des « amis », et qu’ils ne sont plus en bons termes depuis le renversement du Chah en 1979. L’Iran est le principal concurrent de l’Arabie Saoudite en termes de pouvoir et d’influence dans la région et représente donc une menace politique pour l’Arabie Saoudite. De plus, les états arabes, dont les déclarations sur l’Iran sont largement diffusées, comme celles de l’Arabie Saoudite, Bahreïn, Oman, les Émirats Arabes Unis et l’Égypte, doivent être interprétées dans le contexte des relations de ces pays avec les Etats-Unis. Les états arabes sont des marionnettes des Etats-Unis dans la région. Leurs armées sont subventionnées par le complexe militaro-industriel des Etats-Unis, leurs régimes (qui sont tous des dictatures ou des dynasties) sont soutenus et alimentés par les Etats-Unis. Il en est de même pour Israël, qui lui au moins affiche une façade démocratique, à la manière des Etats-Unis.
Les pays arabes et leurs dirigeants savent que l’unique raison pour laquelle ils gardent le pouvoir, c’est parce que les Etats-Unis le veulent bien et les soutiennent. Ils sont ainsi dépendants des Etats-Unis et de son soutien politique, financier et militaire. S’opposer aux ambitions des Etats-Unis dans la région est le chemin le plus court pour finir comme l’Irak et Saddam Hussein. L’histoire moderne du Moyen-orient est remplie d’exemples de dirigeants marionnettes et favoris de l’Empire qui ont été rapidement transformés en ennemis et « menaces pour la paix ». Dans ce cas, il s’ensuit un changement de régime provoqué par les Etats-Unis et une nouvelle marionnette prend la place de l’ancienne. Si les dirigeants arabes disaient que l’Iran n’était pas une menace pour la paix, ils se retrouveraient rapidement dans la ligne de mire de l’impérialisme occidental. De plus, de nombreux dirigeants, tels le Roi Abdullah, sont virulents et haïssent l’Iran tout simplement parce qu’ils sont concurrents dans la région. Une chose est sûre pour tous les états et leurs dirigeants, c’est qu’ils sont fondamentalement égoïstes et obsédés par leurs intérêts propres et le renforcement de leurs pouvoirs.
L’Arabie Saoudite, en particulier, mène activement une lutte d’influence contre l’Iran. Au Yémen, l’Arabie Saoudite est impliquée dans une autre guerre de conquête impériale des Etats-Unis, en participant à la répression des mouvements de libération scissionnistes au nord et au sud du Yémen.
Le Yémen, dirigé par Saleh, un dictateur soutenu par les Etats-Unis et au pouvoir depuis 1978, se livre à l’extermination de sa propre population pour se maintenir au pouvoir, avec l’aide des Etats-Unis. Le conflit est pourtant présenté en général dans sa version propagandiste comme un conflit d’influence régionale entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Alors qu’il ne fait aucun doute que l’Arabie Saoudite est impliquée dans le conflit, ceci de son propre aveu, il n’existe par contre aucune preuve d’une implication de l’Iran, qui est pourtant constamment accusé d’ingérence par l’Arabie Saoudite et le Yémen. Il s’agit peut-être d’une tentative d’entraîner l’Iran dans le conflit ou tout simplement d’une nouvelle diabolisation du pays. Au milieu de cette nouvelle guerre yéménite, les Etats-Unis ont signé une vente d’armes avec l’Arabie Saoudite qui a battu tous les records de ventes d’armes des Etats-Unis, d’un montant de 60 milliards de dollars. Le contrat, et ce n’est pas un secret, est destiné à renforcer les capacités militaires de l’Arabie Saoudite afin de pouvoir intervenir plus efficacement au Yémen mais surtout pour défier et contrer l’influence croissante de l’Iran dans la région. Bref, les Etats-Unis sont en train d’armer leurs régimes marionnettes en vue d’une guerre contre l’Iran.
[ pour des explications plus détaillées sur la guerre au Yémen, “Yemen : The Covert Apparatus of the American Empire.” http://www.globalresearch.ca/index.... ]
Israël n’a pas dénoncé cette vente d’armes tout simplement parce qu’à terme, cette vente servira ses intérêts dans la région où sa cible principale est l’Iran. De plus, Israël, un autre état marionnette, est soumis aux intérêts des Etats-Unis. Si une guerre régionale contre l’Iran est effectivement en cours de préparation, et il semblerait pour beaucoup que ce soit le cas, il est certainement dans l’intérêt d’Israël d’avoir des alliés contre l’Iran dans la région.
Wikileaks est-il une opération de propagande ?
Les dirigeants israéliens ont insisté lourdement pour dire que les documents de Wikileaks ne leur portaient aucun tort. Avant leur publication, le gouvernement US a informé les officiels israéliens sur le type de documents qui allaient être publiés concernant Israël. (5) Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré, « il n’y a aucune divergence entre nos positions publiques, entre nous et Washington, et notre perception de nos positions respectives » (6) Le ministre de la Défense Ehud Barak a affirmé que ces documents « offrent une vision plus précise de la réalité. » (7) Un haut officiel turc a déclaré que de voir quels pays étaient satisfaits de ces fuites en disait suffisamment long et il a suggéré qu’Israël « est à l’origine de ces fuites » pour tenter de faire prévaloir ses intérêts et « faire pression sur la Turquie. » (8)
De plus, des spéculations circulent sur Internet et dans différents médias au sujet de Wikileaks comme quoi ce dernier serait lui-même une organe de propagande, peut-être même une façade de la CIA et un moyen pour « contrôler l’opposition » (qui, nous le savons, n’est pas immune aux activités de la CIA). Une telle spéculation est fondée sur l’utilisation qui est fait de l’information livrée par les câbles et semble totalement ignorer leur contexte.
Quel est ce contexte ? Commençons par Israël. Il ne fait aucun doute qu’Israël est bien un état criminel (comme tous les états, au fond), mais sa criminalité dépasse celle de la plupart des autres états dans le monde, à l’exception peut-être des Etats-Unis. Le nettoyage ethnique des Palestiniens est un des crimes les plus terribles et un des crimes contre l’humanité les plus persistants de ces 50 dernières années, et l’histoire jugera Israël comme l’état pervers, guerrier, inhumain et détestable qu’il est. Cela étant dit, Israël est tout sauf subtil. Lorsque le Premier Ministre israélien déclare que les documents de Wikileaks n’embarrassent pas son pays, il a très certainement raison. Et ce n’est pas parce qu’Israël n’a rien à cacher (rappelez-vous que les documents de Wikileaks ne sont pas des documents « top-secret », juste des câbles diplomatiques), mais tout simplement parce que les échanges diplomatiques d’Israël sont largement le reflet de ses déclarations publiques. Israël et ses dirigeants ont l’habitude de faire des déclarations absurdes, de menacer sans cesse l’Iran et ses voisins d’une guerre, ou de semer sa propagande selon laquelle l’Iran fabrique des armes nucléaires (chose qui reste à prouver). C’est pour cela que les fuites ne « touchent » pas Israël, parce que l’image d’Israël est déjà exécrable et parce que les diplomates et politiciens israéliens sont généralement aussi francs dans leurs déclarations publiques qu’ils le sont en privé. L’image d’Israël n’est donc pas modifiée par ces câbles. Bien sûr, les dirigeants israéliens – politiques et militaires – profitent de ces fuites pour déclarer qu’elles « confirment » leur opinions sur l’Iran, ce qui à l’évidence n’est qu’une opération de propagande, avec exactement la même technique que celle employée par les grands médias et qui consiste à prendre les câbles pour argent comptant.
L’Iran a affirmé que les fuites de Wikileaks n’étaient qu’une opération de propagande occidentale qui visait l’Iran. Cette déclaration elle-même doit être considérée comme de la propagande. Après tout, l’Iran a déclaré aussi qu’il était « ami » avec tous ses voisins, ce qui est faux et a toujours été faux. L’Iran, comme tous les états, a recours à la propagande pour servir ses propres intérêts. L’Iran n’est en aucun cas un pays merveilleux. Mais comparé aux pays chéris par les Etats-Unis dans la région (l’Arabie Saoudite par exemple), l’Iran constitue un bastion de liberté et de démocratie. Ceux qui tentent de contrer la désinformation et la propagande doivent demeurer vigilants devant les campagnes de désinformation menées contre l’Iran, et elles sont nombreuses. On sait que l’Iran fait partie des cibles des ambitions impérialistes des Etats-Unis. Mais il n’y a rien dans les documents de Wikileaks qui paraît faux en ce qui concerne l’Iran, particulièrement ceux rédigés par les diplomates occidentaux et les dirigeants arabes. Ces documents expriment effectivement leurs opinions et leurs opinions reflètent tout simplement les priorités politiques des Etats-Unis et de l’Occident et non l’expression d’une vérité. Il faut donc faire la distinction entre l’authenticité des documents et la véracité de leur contenu.
Lorsque l’Iran déclare que les documents de Wikileaks ne sont que propagande, c’est faux. Il faut non seulement analyser l’authenticité des documents (et leurs sources) mais aussi, et c’est peut-être le plus important, analyser l’interprétation qui est faite de ces documents. Ce n’est donc pas l’authenticité de ces documents qui ne font qu’exprimer l’opinion de l’Occident et du Moyen-orient sur l’Iran (car ces opinions coïncident avec les réalités géopolitiques de la région) que je mets en doute, mais l’interprétation qui est faite de ces documents. C’est leur interprétation qui constitue à mes yeux la véritable opération de propagande de la part des gouvernements occidentaux et des médias. Cette propagande consiste à décrire ces documents comme des « analyses objectives » d’une réalité concrète, ce qui n’est pas le cas. Les documents sont « objectifs » dans la mesure où ils reproduisent des points de vues exprimés par leurs auteurs, ce qui ne signifie nullement qu’ils sont le reflet de la réalité. Il y a là une différence qu’il faut absolument comprendre, à la fois pour pouvoir dénoncer la propagande et discerner la part de vérité. (...)

mercredi 19 janvier 2011

Todd : «La Tunisie a rejoint le modèle historique général»

Hier matin à Tunis : sur les forces de sécurité qui remontent une avenue, un homme braque… sa baguette de pain. Photo AFP

Emmanuel Todd est historien et anthropologue. En 2007, avec le démographe Youssef Courbage, il publiait le Rendez-vous des civilisations (Seuil) qui, à revers de la thèse du choc des civilisations, estimait que les pays arabes allaient rejoindre la modernité.

Que vous inspire la chute du régime Ben Ali ?

Notre livre montrait que, contrairement au discours dominant d’un islam considéré comme incompatible avec la modernité, le monde musulman connaissait un phénomène rapide de modernisation éducative et démographique. De vastes régions musulmanes ont vu leur taux de fécondité tomber entre 2 et 2,3 enfants par femme (le taux de la France ou des Etats-Unis étant de 2 enfants par femme). Une évolution déterminante, car l’histoire montre la concomitance de trois phénomènes : alphabétisation, baisse de la fécondité et révolution. L’Iran, par exemple, a fait sa révolution de 1979 au moment où son taux d’alphabétisation atteignait celui des Français du Bassin parisien en 1789. Or, pour Youssef Courbage et moi-même, dans ce modèle, la Tunisie représentait une bizarrerie. Son taux de fécondité y est le plus faible du monde arabe (2 enfants par femme, en 2005) et l’alphabétisation y est quasiment achevée : pour la période 2000-2004, 94,3% des 15-24 ans savent lire et écrire (97,9% pour les garçons et 90,6% pour les filles). Dès lors, la longévité d’un régime autoritaire semblait alimenter les théories qui prétendent que le monde arabe serait incapable de se moderniser. La raison que nous avions trouvée, c’était le niveau élevé d’endogamie qui, en Tunisie, était nettement supérieur à 30% au milieu des années 90, alors que l’Iran, l’Algérie et le Maroc étaient à 25% et la Turquie à 15%. Or, il y a un rapport entre endogamie et structure politique: l’étanchéité du groupe familial entraîne la fermeture des groupes sociaux sur eux-mêmes et la rigidité des institutions.

Que s’est-il passé ?

L’hypothèse de l’endogamie était probablement la bonne, mais elle doit être nuancée par une analyse fine des données dont nous disposons. «L’enquête tunisienne sur la santé de la mère et de l’enfant de 1996» (1) marque une chute du taux des mariages entre cousins germains : 36% pour les couples mariés depuis plus de trente ans, 20,5% pour les unions célébrées durant les quatre années précédant l’enquête. On peut supposer que la tendance s’est poursuivie. Autrement dit, l’hypothèque de l’endogamie a été levée, permettant à la baisse de la fécondité et à l’alphabétisation de jouer pleinement leur rôle. Avec cette révolution, la Tunisie a rejoint le modèle historique général et quelles que soient les difficultés à venir (et il y en aura, bien sûr), l’idée d’un retour en arrière est difficilement concevable.

Vous avez rappelé l’exemple de la révolution iranienne qui, devenue islamiste, s’en est prise aux femmes. La Tunisie ne court-elle pas le même risque ?
Dans la France au XIXe siècle comme en Iran aujourd’hui et dans la Tunisie de demain, la stabilisation démocratique pose des problèmes de transition. Pour l’heure, les islamistes semblent hors-jeu en Tunisie, mais il serait absurde de se crisper si certains d’entre eux devaient intégrer le processus démocratique. N’oublions pas que l’émergence des démocraties anglo-saxonnes a été associée à un concept religieux - en l’espèce, le protestantisme. De nos jours, au cœur de l’Europe moderne, la CDU allemande est explicitement chrétienne. Quant aux pays musulmans, on observe que la Turquie démocratisée est dirigée par des islamistes modérés proeuropéens, qui s’accommodent fort bien de la hausse de l’alphabétisation et de la baisse de la fécondité - à la grande surprise des laïcs français, mais non des Anglo-Saxons. Quant au statut de la femme, il était partie prenante d’un système familial patrilinéaire qui exige que le fils succède au père. Mais, lorsque le taux de fécondité tombe à 2 enfants par femme, nombreux sont les pères qui n’ont pas de garçon et c’est tout le système qui s’effondre. En réalité, dans de tels pays, et malgré la focalisation sur le port du foulard, le discours islamiste d’abaissement des femmes ne mord plus sur la réalité.

La Tunisie va-t-elle devenir le laboratoire du monde arabe ?
Peut-être la Tunisie va-t-elle faire passer le monde arabe de l’autre côté du miroir et rendre caduc le sempiternel discours sur l’incapacité structurelle des pays arabes à devenir des démocraties. Plusieurs éléments plaident en ce sens : la démographie, l’éducation, la présence massive de la culture française et l’absence de pétrole - à partir du moment où il y a du pétrole, le régime rentier peut échapper à sa population. Regardons deux pays sur la liste des mutations à venir : en Syrie, le taux d’alphabétisation est encore plus élevé qu’en Tunisie (95,2%), mais l’endogamie reste très forte, en particulier dans les zones sunnites. En revanche, en Egypte, l’alphabétisation a pris du retard (73,2%), mais l’endogamie, déjà pas très élevée, est en chute libre. Il est probable que les dirigeants de ces deux pays regardent ce qui se passe en Tunisie avec beaucoup d’attention…

(1) Réalisée par l’Office national de la famille et de la population tunisien.

Libé

mardi 11 janvier 2011

Assange : "Nous allons tenter de riposter"



Assange : "Nous allons tenter de riposter"

envoyé par Europe1fr. - L'info video en direct.

A quelques heures d’une nouvelle audition devant la justice, Julian Assange a accepté de se confier à Europe 1. Julian Assange affiche une volonté intacte de continuer son combat à la tête de l'organisation qu'il a cofondée, WikiLeaks. Il s’inquiète cependant de son avenir sur le long terme. "Nous ne pourrons pas survivre au train où vont les choses (…) L’argent des donateurs a du mal à nous arriver, parce que tous nos comptes sont bloqués. J’estime que nous perdons 500.000 euros par semaine", précise t-il.

Europe1

Plus que jamais, il faut soutenir le combat de Wikileaks pour la liberté d'expression.

Pour bien commencer 2011


A écouter : Le Grand Maître du déclinisme optimiste (la religion de Bertrand) sur France Inter à l'occasion de la sortie en poche d' Après la Démocratie. (l'intervention débute à environ 1.00.00).



A voir et écouter : Le grand président du petit Equateur (à éviter de comparer avec qui-vous-savez parce que... ben... c'est la honte, quoi...) sur TV5Monde. Du charisme, de la chaleur humaine, de la pugnacité, de l'honnêteté, du talent, de l'intelligence, du courage et j'en passe. Bref, de quoi nous rendre jaloux à mort!

vendredi 7 janvier 2011

Emmanuel Todd : "L'explosion de l'euro, une probabilité de 90 %"



Que nous est-il permis d'espérer et que doit-on craindre en 2011 ? Le politologue, démographe et essayiste français Emmanuel Todd a accepté de se livrer, pour nous, à un « bilan et perspectives » étayé, plus spécifiquement centré sur la crise économique et financière qui secoue l'Europe.

Que retiendrez-vous de l'année 2010, qui vient de s'achever ?

Je dirais que ce fut une année charnière. C'est l'année où les croyances, économiques et politiques dominantes de l'Occident sont arrivées au bout de quelque chose.

D'abord dans la gestion de la crise économique. J'ai été frappé par la prise de conscience concernant la relance, telle qu'on l'avait conçue lorsque la crise financière, puis la crise de la demande mondiale ont été diagnostiquées - chose qu'il fallait faire, précisons-le... -, qui n'allait pas suffire. Et pour une raison très simple : les plans de relance ont, à la rigueur, relancé les profits dans les économies occidentales, ont regonflé à un niveau acceptable les indicateurs boursiers, mais n'ont pas fait repartir l'emploi, les salaires. Malgré ces plans, la dégradation du niveau de vie a commencé ; aux Etats-Unis, les indicateurs mettent même en lumière une diminution de l'espérance de vie...

Les gens ont donc compris que dans une économie ouverte, dans un régime de libre-échange, si l'on réinjecte des signes monétaires ou des moyens de payement dans l'économie par en haut - plutôt par le système bancaire qu'autrement -, on crée de la demande, mais que cette demande ne modifie absolument pas le mécanisme de la compétition sur les salaires, mais que cela relance tout simplement les économies à bas salaires. En France par exemple, et j'imagine ailleurs, les plans de relance de l'après-crise ont abouti à une accélération de la désindustrialisation et des délocalisations...

Un « électrochoc » , donc...

Les gens l'ont compris mais, pour le moment, ils ne sont pas allés au bout de la compréhension. Cela réintroduit les différences traditionnelles entre Américains et Européens où, pour une fois, je ne peux plus dire que les Américains sont quand même moins bêtes parce qu'ils ont compris le problème de la demande globale, les mécanismes keynésiens de soutien à la demande, la notion de flexibilité monétaire, etc. On ne peut plus considérer qu'un plan de relance, en économie ouverte, est simplement mieux que les plans d'austérité européens. Les plans d'austérité européens ne sont pas une solution actuellement. Ils vont relancer la crise mondiale, et s'ils remettent l'économie mondiale en crise, pour le coup, l'économie chinoise, qui est gérée de façon extrêmement dangereuse par l'exportation, va s'effondrer. Mais ces plans d'austérité européens traduisent quand même, me semble-t-il, une volonté de ne pas faire de la relance pour autrui... Je dirais qu'ils sont un premier pas vers le protectionnisme, mais dans la mesure où il s'agit d'un protectionnisme par contraction de sa propre demande, c'est ce que l'on peut appeler un « protectionnisme bête » . Moi, je me bats depuis longtemps pour un « protectionnisme intelligent » . Je vais y revenir.

C'est le deuxième tournant. Le premier concerne le premier élément de la pensée unique : le libre-échange. Le deuxième est sur l'euro. L'acquis du dernier trimestre de 2010, c'est qu'on est arrivé au bout de la croyance en l'euro comme horizon spécifique pour l'Europe. Il s'agit donc d'une année chargée en termes de prises de conscience !

(...) La suite sur : Tout Sur La Chine